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Bassil à « L’OLJ » : Je suis contre ce qu’a fait le Hezbollah, contre l’ouverture du front de soutien le 8 octobre 2023, mais je ne peux pas être avec Israël.

Alors que l’armée israélienne poursuit ses « incursions » au Liban-Sud et bombarde quotidiennement le pays du Cèdre, le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, sonne l’alarme sur le risque d’éclatement d’une nouvelle guerre civile au Liban. Entretien.

L’offensive israélienne a détruit une partie du pays et poussé plus d’un million de personnes à se déplacer. Dans ce contexte, quelle est actuellement votre plus grande crainte ? L’heure est grave. Le projet israélien est de provoquer une discorde interne au Liban, et seule notre unité peut nous en protéger. Nous devons éviter la guerre civile à tout prix.

Comment empêcher l’éclatement d’une telle guerre ? Il faut d’abord en prendre conscience et faire preuve de solidarité, pas seulement sur le plan humanitaire. Il faut aussi que les gens à l’intérieur ne cherchent pas à susciter la discorde, sinon celle-ci aura lieu.

Qui cherche à provoquer une telle discorde ?

Beaucoup de parties cherchent à exploiter les dissensions internes. Netanyahu cherche à atteindre cet objectif. Son message principal aux Libanais est de séparer le Liban du Hezbollah. Je suis contre ce qu’a fait le Hezbollah, contre l’ouverture du front de soutien le 8 octobre 2023, mais je ne peux pas être avec Israël. Je ne peux en aucun cas jouer le jeu de Netanyahu. D’ailleurs, pour les Israéliens, il ne s’agit pas seulement de séparer le Liban du Hezbollah, mais de le séparer de la communauté chiite et de monter les Libanais les uns contre les autres. Or, dès qu’il y a des problèmes au sein d’une communauté ou entre une communauté et les autres, c’est tout le Liban qui en pâtit. Le Hezbollah est aussi une composante politique qui représente une partie de la population et nous devons traiter avec lui. J’en suis convaincu, même si avant cette guerre, nos relations étaient très mauvaises sur le plan politique. Mais aujourd’hui, je ne peux pas accepter qu’une communauté qui a participé à la fondation du Liban soit écrasée. Ce ne serait plus le Liban.

Que faites-vous pour lutter contre cela ?

J’essaye de tenir un discours rassembleur. J’alerte les Libanais contre ceux qui veulent créer une discorde interne, pour éviter ainsi le piège des divisions.

Que pensez-vous des propos du numéro deux du Hezb, Naïm Kassem, qui laissent entendre que l’Iran voudrait se battre jusqu’au dernier Libanais ? Ce n’est pas ainsi que je les ai perçus. Personnellement, je fais une distinction claire entre notre problème avec le Hezbollah et le problème du Liban avec Israël. Il y a une grande différence. Aujourd’hui, Israël veut occuper une partie du Liban et provoquer des troubles internes dans le reste du pays. Pour lutter contre cela, nous devons déployer des efforts. Si aujourd’hui, par exemple, un groupe, quelle que soit sa confession, veut créer un problème confessionnel dans un lieu d’accueil de déplacés, il faut pouvoir l’en empêcher. L’armée a un rôle à jouer à ce niveau, ainsi que l’éveil national chez ceux qui attaquent et chez les déplacés eux-mêmes.

Ensuite, si nous voulons protéger le Liban et faire en sorte qu’il soit indépendant des axes, comme nous le souhaitons, il ne faut pas laisser Israël l’occuper ni s’en prendre à la communauté chiite. Car ce serait une recette idéale pour faire du Liban une scène ouverte aux Yéménites, aux Irakiens, aux Syriens, aux Iraniens, aux Afghans, aux Pakistanais, bref à tous les chiites dans le monde qui viendraient se battre ici. Le Liban n’est pas une terre de jihad.

Croyez-vous à un projet de transfert des chiites vers la Syrie et l’Irak ?

C’est sûr que les Israéliens pensent à de tels scénarios. Cette idée n’existait-elle pas déjà en 2006 ? Mais aujourd’hui, c’est encore plus grave, en raison des destructions systématiques des localités au Sud et dans la Békaa, qui empêchent les gens de rentrer chez eux.

Pensez-vous que le sommet spirituel qui s’est tenu à Bkerké vise à resserrer les rangs internes ?

Tout ce qu’a fait le patriarche maronite ces derniers temps s’inscrit dans ce cadre, et il montre ainsi son attachement au Liban et sa conscience des menaces qui pèsent sur notre pays. Nous partageons d’ailleurs les mêmes positions. Tout Libanais responsable doit agir ainsi, et ceux qui ne le font pas montrent qu’ils sont d’une façon ou d’une autre liés au projet israélien. En tout cas, dans mon discours samedi, j’avais évoqué 4 points : l’unité nationale, le cessez-le-feu, l’application de la résolution 1701 et l’élection d’un président. Le patriarche maronite les évoque aussi. En réalité, nous n’avons pas le choix.

Je veux que l’État se renforce, car nul ne doit être plus fort que lui. Par contre, un Hezbollah affaibli alors que l’État, l’économie et le pays tout entier le sont aussi, c’est inacceptable. L’élection d’un président ne résoudrait certes pas tous les problèmes, mais elle donnerait le premier signal de la relance de l’État et de ses institutions.

Comment pourrait se terminer cette guerre, sachant que Netanyahu semble avoir un feu vert pour aller jusqu’au bout ?

Soit Israël gagne, soit le Hezbollah réussit à créer un nouvel équilibre des forces de nature à réduire les agressions israéliennes, soit les Américains, après l’élection présidentielle, décident d’imposer une solution. Il s’agit de voir jusqu’où les Américains sont prêts à laisser les Israéliens aller. Même avec l’élection de Donald Trump, il y a des limites, à mon avis. Je connais les deux logiques, mais en définitive, c’est le rapport de force qui compte.

Est-il selon vous en faveur de l’Iran ?

Aujourd’hui, on a l’impression qu’Israël a le dessus, mais est-ce que cela va être toujours le cas ? Il est certain que le Hezbollah a, à ce stade, perdu une partie de sa force de dissuasion. Il faut soit que celle-ci se rétablisse, soit essayer de trouver un autre moyen de défendre le Liban, sachant que cette force de dissuasion a quand même donné au Liban 17 ans de stabilité relative. Ce qui compte pour moi, c’est de préserver le Liban et de pouvoir le reconstruire. Je veux aussi défendre le Liban contre Israël. Si le Hezbollah n’est plus en mesure de le faire, il faut trouver un autre moyen.

Pensez-vous que le Hezbollah devrait accepter de déposer ses armes ?

Il doit accepter de s’intégrer dans une stratégie de défense nationale. Je continue de croire que l’ouverture du front de soutien était une erreur. À mon avis, le Hezbollah ne croyait pas qu’Israël irait aussi loin, lorsqu’il a ouvert le front à partir du Liban. Lors de ma dernière conversation avec le « sayyed », je lui avais dit que ce n’est pas la même chose si le Hezbollah déclenche la guerre ou si c’est Israël qui le fait. Dans un cas, on serait tous derrière lui, mais pas dans l’autre.

Comment voyez-vous la sortie de cette crise ?

Il faut attendre l’issue de cette guerre et arriver à un cessez-le-feu avec le moins de dégâts possible à l’intérieur.

Et l’application de la 1559 ?

Celle-ci ne peut pas être dissociée des autres résolutions internationales, comme la 242 et d’autres. Le Liban est concerné par l’application des résolutions qui concernent la Palestine.

Pensez-vous que le Hezbollah survivra à cette guerre ?

Je pense qu’il faut en finir avec l’idée d’éliminer une des composantes libanaises. Cela n’est pas arrivé dans le passé et n’arrivera pas maintenant. Si on regarde dans la région, le Hamas a gagné en popularité chez les Palestiniens… Mais le Hezbollah doit aussi comprendre qu’on ne peut pas revenir à la situation d’avant le 8 octobre.

Qu’en est-il de l’élection présidentielle ?

Nous avons établi une liste de noms. Tous les noms qui circulent y figurent, même ceux que nous n’appuyons pas, comme Sleiman Frangié, Joseph Aoun et même Samir Geagea. Nous avons des contacts avec les différents blocs pour aboutir à un consensus, ou au moins au nombre de députés requis pour le quorum.

À quoi ressemblerait aujourd’hui une personnalité consensuelle ?

Elle doit pouvoir rassembler les Libanais, ne pas être manipulable par une partie locale ou étrangère et ne pas être corrompue. Je n’en demande pas plus. Je ne veux pas, à ce stade, porter la responsabilité du nouveau président.

D’après vos contacts, Berry serait-il prêt à tenir l’élection présidentielle ?

Il y a beaucoup de facteurs qui entrent en jeu. Mais je crois que sa position est plus ouverte. Il parle clairement de personnalité consensuelle. Il faut toutefois assurer le nombre de députés requis, et nous sommes conscients de l’existence d’empêchements externes. En fait, les deux camps adverses, le pro-iranien et le pro-américain, misent, chacun, sur la guerre, pour amener le candidat de son choix.

Voyez-vous un changement du système libanais ?

Je vois des changements dans toute la région. Mais il est encore trop tôt pour les définir.